Alors que ses résultats sécuritaires sont inconsistants
et qu’il se perd à vouloir gérer toutes les petites
affaires de l’État,
le régime d’exception militaire du MPSR-II est de plus en
plus
nerveux, ouvrant une vaste chasse aux sorcières contre
ceux
qui mettent un point d’honneur à appeler un chat un chat.
I- La république contre le faso ?
Réglage
logistique. Devant un patient dont la fièvre persiste, il y a le
médecin qui, affrontant la réalité en face, n’a de cesse de chercher un autre
remède, quel qu’il soit, y compris contre son premier diagnostic ; et il y a le
médecin qui, fuyant la réalité, casse le thermomètre pour ne pas dédire son
premier diagnostic, au risque de mettre la vie de son patient en danger. Le
premier accepte l’échec sans baisser les bras ; le second le refuse sans
remettre en cause sa médecine.
Telle
est aujourd’hui la situation du Burkina Faso. Attaqué par une terrible maladie
qui ne veut pas rendre les armes, ceux qui sont expressément chargés de la
combattre n’ont plus d’autre remède pour faire taire les détracteurs qui leur
renvoient la réalité de la situation militaire en pleine figure que de casser
le thermomètre. Même les plus modérés ne comprennent pas cette obstination à
appliquer un remède sans résultats tangibles depuis huit mois déjà, nonobstant
les promesses tonitruantes ayant accompagné l’arrivée au pouvoir des militaires
du MPSR-II — tout, ou presque, n’était que question de réglage logistique…
Chasse
aux sorcières. La propagande ayant perdu tout effet, et les menaces
répétées à l’envi tournant au ridicule, voilà qu’une vaste chasse aux sorcières
est lancée contre tous ceux qui portent sur le devant de la scène, à haute et
intelligible voix, sans plus de précaution, ce qu’une grande partie des
Burkinabè pensent tout bas. Par définition, cette majorité silencieuse est
moins bruyante que les groupes d’activistes intéressés personnellement au
maintien au pouvoir des militaires du MPSR-II, mais pourtant elle n’est pas
aveugle : si ce régime d’exception militaire avait des trophées à brandir, il
ne s’en priverait pas — même dans l’évaluation des personnes déplacées
intérieures (PDI), le Premier ministre Me Apollinaire Kyelem fait
procéder en grande pompe à des recomptages pour finalement annoncer devant
l’Assemblée législative de transition un taux de réinstallation ne dépassant
pas… 0,5 %, preuve irréfragable que « la peur a changé
de camp ! » [1]. À défaut de trophées, on atermoie, on prend des airs
convenus, et on annonce que la guerre sera foudroyante pour nos ennemis,
qu’elle n’a pas encore commencé, mais que bientôt elle va commencer, et que ce
commencement est tellement imminent qu’il va surprendre tout le monde — y
compris ceux qui la font ? Toute proportion gardée, la guerre sous le régime du
MPSR-II, c’est un peu le Désert des Tartares de Buzzati ; ou, pour
prendre une référence plus triviale, l’Arlésienne…
On en parle plus qu’on ne la voit jamais dans ses résultats.
Et
comme l’ennemi déjoue tous les calculs des militaires mobilisés sur tous les
terrains d’opération, on procède à l’interpellation et à l'interrogatoire de
tous ceux qui le constatent, par métier et par patriotisme : journalistes,
activistes de la société civile, intellectuels, hommes politiques — et demain,
hommes d’affaires, hauts fonctionnaires, commerçants, tenanciers de maquis,
puisque dans un régime d’exception militaire personne n’est à l’abri des
fantaisies de l’arbitraire. On le fait avec des chefs d’accusation dignes d’une
série télévisée, on dramatise l’interpellation ou la convocation, on garde à
vue, on perquisitionne, on saisit les appareils électroniques, on tente de
percer les codes d’accès aux données prétendument sensibles, et, tandis que la
capitale bruisse de rumeurs plus folles les unes que les autres, on finit par
relâcher les quidams les uns après les autres ; là encore, la réalité des faits
est plus têtue que les fantasmes de ceux qui ont mis en branle — pour rien — ce
lourd et coûteux dispositif de police ou de gendarmerie.
Il
y a, hélas, ceux qu’on parvient à faire déposer à la MACO, non pas pour quelque
petit délit d’expression, mais pour des faits concordants d’atteinte grave à la
sécurité — ou tout ce qui revient au
même dans le Code pénal, que ce soit ou non tiré par les cheveux, comme, par
exemple, le délit de non-dénonciation de délit —, dont on attend de connaître
le menu pour juger de la consistance des réquisitions prises à leur encontre,
sous l’œil attentif du pouvoir exécutif. Entre certaines mains dociles ou
zélées, le droit, ses arguties, ses ambiguïtés, ses silences et son arbitraire
toujours dissimulé derrière des principes généraux, est une mine pour espérer
intimider ceux qu’on veut réduire au silence, faute de mieux — ou en attendant
pire, qui sait ?
Mouvement
décolonial. Aucun médecin ne peut préconiser un remède efficace s’il
s’appuie sur un diagnostic faux ou biaisé par le seul souci de vouloir paraître
plus médecin que tous les autres médecins réunis. On n’est pas médecin
seulement d’autorité, mais de pratique. Il y a la théorie, apprise sur les
bancs de la faculté ; et il y a la clinique, apprise dans son cabinet, face à
face avec des malades. À l’évidence, les militaires du MPSR-II manque de
clinique.
L’ex-président
Damiba, lui-même membre du MPSR et figure éminente de la première prise
militaire du pouvoir civil, le confessait sans détour : s’il s’agissait de tuer
tout le monde, ce serait simple ; et d’ajouter que l’essentiel des combattants
armés sont des Burkinabè — ce que le Premier ministre Me Apollinaire
Kyelem vient encore de confirmer avec dépit devant les honorables de
l’Assemblée législative de transition : « Ceux qui nous
attaquent là, c’est des Burkinabè ! [2] » Peut-on parler de
guerre lorsque, en face de nos soldats, il y a des hommes tout aussi burkinabè
qu’eux-mêmes ? Certes ces hommes révoltés peuvent être influencés par
l’extérieur, voire épaulés par des combattants d’une autre nationalité, mais
aujourd’hui le nombre fait la qualité. Le Burkina Faso est confronté à une
insurrection où des Burkinabè affrontent des Burkinabè, et cette insurrection
est politique, dans sa nature, dans son développement et dans sa résolution
[3]. L’idéologie religieuse y a sa place — comme jadis l’idéologie marxiste y
avait la sienne —, mais le cœur nucléaire de ce mouvement touchant la quasi
totalité des communautés rurales du pays est la contestation de l’État
républicain, lui-même incarné et défendu à profit par les élites urbaines
depuis l’indépendance formelle du Burkina Faso. Pour reprendre partiellement
les analyses du philosophe Mohamad Amer Meziane [4], en Afrique, tout mouvement
qui s’attaque à la sécularisation de la société et à l’État-nation, comme
avatars et métastases de la colonisation, est un mouvement décolonial. Ce renversement
de perspective n’est pas facile à envisager, puisque parmi les tenants les plus
radicaux de l’anti-néocolonialisme eux-mêmes, dont la figure de proue en
Afrique de l’Ouest est Kemi Seba [5], on préfère s’abstenir de trop de
commentaires à ce sujet, laissant la main-mise du jihadisme religieux reléguer
au second plan la dynamique profonde de l’insurrection en cours presque partout
dans le Sahel. Il est parfois plus commode de s’arrêter sur l’arbre plutôt que
de voir la forêt qu’il cache — ce qui, nulle part dans le monde, n’a jamais
effacé la forêt.
Pour
le dire directement, au moins à titre d’hypothèse pour qui manque de
familiarité avec les subtilités de la recherche scientifique, les insurgés et
ceux qui en soutiennent le projet politique — et pas forcément tous les moyens
de combat — dans les populations rurales proclament haut et fort qu’ils
aspirent à retrouver leurs frontières naturelles de sable contre les frontières
arbitraires de papier, qu’ils veulent s’affranchir du prêt-à-porter politique
des élites urbaines et de l’oligarchie stato-libérale — terme convenu pour
désigner les corrompus ayant, au sein de notre État, établi à vie le siège
social de leur fonds de commerce mafieux —, et, surtout, qu’il existe dans
l’histoire et dans les cultures des peuples burkinabè des formes
institutionnelles plus à même de contribuer à l’émancipation partagée de chaque
communauté au sein de la Nation. Ce que ne renierait pas forcément Thomas
Sankara, dont le faso [6] est une manière plus révolutionnaire de liquider la
république héritée de la colonisation, à commencer dans le nom du pays et de
ses habitants — ce qui n’a rien de folklorique, ou de botanique par comparaison
avec l’usage réticent de nos prénoms du village, puisque ses héritiers malgré
lui acceptent, aujourd’hui, de mourir les armes à la main, et en grand nombre,
pour faire entendre la voix discordante d’une sorte de faso communautaire [7].
➞
À suivre :
À Guerre sale, sale
paix [2/4]
Dr
Évariste Konsimbo
Président
du Cercle d’Éveil
[1]
Me Apollinaire Kyelem, Premier ministre, Discours
à la Nation, Assemblée législative de transition,
30/05/2023. À la date du 23 mai 2023, plus de 20 457 ménages, comprenant plus
de 125 227 personnes, sont retournés dans leur localité d’origine, selon un
décompte non exhaustif — et non contradictoire — des autorités.
[2]
Me Apollinaire Kyelem, Premier ministre, Réponses
aux honorables, Assemblée législative de transition,
30/05/2023.
[3]
Il ne s’agit pas de nier la présence sur le territoire national de relais d’organisations
islamistes d’envergure internationale, comme Al-Qaida
ou État islamique, mais de souligner
qu’en se focalisant, aujourd’hui encore, sur cette présence, on perd de vue que
ces organisations ont pris pied dans des communautés de longue date en rupture
de ban, non pas de leur fait, mais du fait de la gouvernance républicaine.
L’approche exclusivement militaire de cette crise politique revient à vouloir
éradiquer un virus sans jamais poser la question de l’état immunitaire du
patient et du sens que celui-ci entend donner à sa vie. La gouvernance
républicaine est donc la question centrale, laquelle n’est d’aucun ressort
militaire.
[4]
Mohamad Amer Meziane. Des empires sous la terre, histoire
écologique et raciale de la sécularisation, La Découverte, Paris,
2021.
[5]
Kemi Seba, président de l’organisation non gouvernementale Urgences
panafricanistes, a pris fait et cause pour les États en
place, considérant que le mouvement jihadiste fait partie intégrante d’une
action de déstabilisation des pays africains instrumentalisée par les
oligarchies occidentales. Il a même préconisé d’envoyer au front des brigades
de volontaires issus de son organisation, anticipant d’une certaine manière les
Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) du pouvoir d’exception militaire
du MPSR-II.
[6]
On peut faire une lecture verticale de l’ordonnance 84-043/CNR/PRES portant
changement d’appellation et symboles de la Nation, celle qui l’a emporté avec
la rectification républicaine de Blaise Compaoré, où le Burkina (comme État)
efface le Faso (comme entité politique, ou révolutionnaire). On peut aussi
constater, sur la base de l’article 3, que le Faso ne se confond pas
nécessairement avec le Burkina, qu’il jouit d’une sorte d’autonomie, puisqu’il
est défini comme : « (…) l’entité juridique et politique, le
foyer imprescriptible où souffle le vent vivifiant de la liberté et de la
dignité qui redonne au peuple toute sa grandeur et fait de lui, l’allié naturel
de tous les peuples du monde qui partagent les mêmes idéaux de liberté et de
dignité. (…) » Ce qui circonscrit le territoire du
Faso sankariste, c’est la portée du souffle de la liberté et de la dignité —
dont Sankara souhaite qu’il se confonde avec le territoire géographique du
Burkina, mais sans certitude, puisqu’il ajoute dans son ordonnance : « Le
Faso [et non pas le Burkina] est la
patrie du peuple révolutionnaire du Burkina. » Pour qui
considère l’État du Burkina comme une tyrannie républicaine à l’encontre des
provinces sous son administration, le faso
et sa dynamique révolutionnaire pourrait figurer une voie de recours — d’où le
fait que certains se demandent si, dans cette crise majeure, le Burkina Faso a
besoin de plus de république, ou de plus de faso.
[7]
Par pure provocation, voici une question que l’emprise militaire empêche de
poser alors qu’elle place le débat politique, social, culturel, voire
civilisationnel, au point crucial : où le faso
et son idéal sankariste est-il plus une réalité, à Ouagadougou, ou dans la
périphérie de Djibo ? Qui incarne le plus la liberté et la dignité aux yeux de
ces millions de jeunes ruraux dont la vie dépasse à peine le seuil de survie ;
ces militaires qui viennent continuer par la force ce que la loi républicaine a
échoué à faire par la persuasion ou la propagande, ou ces “héros improvisés“
qui, parfois avec des moyens d’une barbarie sans nom, leur donnent l’espoir que
leur vie vaut plus que la misère et la honte auxquelles elle a été réduite ?
Remontons même plus loin dans notre histoire. Qui dans le conflit actuel
incarne l’héritage de la guerre du Bani-Volta de 1915-1916 ? Notre armée
républicaine, descendante de l’armée coloniale et de ses supplétifs, et bras
armé de la conversion républicaine des provinces, au point d’avoir usurpé,
quasi continument, le pouvoir politique depuis l’Indépendance ; ou ces insurgés
qui refusent désormais que les “étrangers“ de la ville continuent de se mêler
de leurs affaires et qui réclament leur souveraineté et leurs territoires comme
au temps où les villages nouaient des liens d’allégeance avec des maisons de
guerre ? Voir à ce propos : La Guerre coloniale du Bani-Volta, 1915-1916
(Burkina Faso, Mali), Patrick Royer ; in Sociétés dans la
guerre, Autrepart, n° 26, Presse de Sciences Po, Paris,
février 2003.
Ces
questions, un militaire en opération ne peut pas se les poser ; seuls les
intellectuels, les scientifiques, les journalistes, la société civile, les
citoyens le peuvent, qu’il faut protéger contre tout pouvoir politique qui
prétendrait régler la société et ses moyens d’expression comme dans une
caserne, par le bâillon et la trique.