LA DEMISSION DE LA REDEMPTION


Le président du Faso dans son bilan sur les cent jours de gestion du pays a accordé un satisfecit au gouvernement qui, composé en majorité de novices, a mouillé le maillot et ne percevrait même pas encore de rétribution. Quoi de plus normal car était-il possible de se dédire en moins de cent jours en stigmatisant un gouvernement que l’on vient de mettre en place. Cependant les faits sont têtus et une rapide analyse ne permet pas de souscrire au satisfecit présidentiel. En attendant de revenir sur d’autres situations le cas du ministère de la justice nous interpelle si véritablement nous voulons que plus rien ne soit comme avant. En attendant que les acteurs de la justice se battent pour redorer leur blason très ternis par 27 ans de compromission, il s’agira ici de s’intéresser à leur premier responsable.

L’une des choses les plus difficiles pour un homme qui accède aux plus hautes marches de l’Etat c’est de concilier cette posture avec les positions surtout radicales antérieurement prises en tant que leader syndical. Le pouvoir politique peut en effet inhiber certains caractères et en révéler d’autres. C’est du reste ce que l’on peut observer avec l’arrivée du Ministre de la Justice, des droits humains et de la promotion civique, BAGORO Béssolé Réné ancien secrétaire général de syndicat de magistrats, à la tête du ministère. Son attitude, jugée par certains de ses collègues, condescendante ou suffisante et ses propos excessifs vis-à-vis de ses camarades de lutte d’hier l’ont mis à mal face à la détermination des magistrats favorisée par les conclusions des états généraux de la justice qui ont permis l’adoption par le Conseil National de la Transition des lois organiques N° 050-2015/CNT et N° 051-2015/CNT du 25 août 2015 portant respectivement, statut de la magistrature et organisation, composition, attributions et fonctionnement du conseil supérieur de la magistrature.

Ces textes ont été renforcés par la loi constitutionnelle n°072-2015/CNT du 05 novembre 2015 portant révision de la constitution qui a consacré la séparation effective des pouvoirs à travers la consécration de l’autonomie du conseil supérieur de la magistrature désormais présidé par le premier président de la Cour de cassation, ainsi que la suppression des propositions de nomination des magistrats par le Ministre de la justice qui, par ailleurs ne note plus que les magistrats sous sa hiérarchie immédiate.

Ainsi, lorsque le ministre BAGORO Béssolé Réné, dès le début de son mandat à la tête du département, a été confronté au délicat dossier des textes d’application des textes organiques sus référencés, il n’a pas pris le soin de s’entourer de toutes les précautions et de préparer sérieusement sa communication sur le dossier. Il est vite tombé dans le piège d’une vision conflictuelle et hystérique de l’action syndicale qui rappelle les rapports entre les syndicats et l’Etat en situation autoritaire, à l’instar de l’époque du Conseil National de la Révolution. C’est alors qu’il a voulu jeter les magistrats en pâture en confrontant leurs revendications qu’il juge, ironiquement d’ailleurs, légitimes, aux problèmes des dix-huit millions de burkinabé et pire en qualifiant ses camarades d’hier de « ces gens-là » et en les menaçant de sanctions allant du « blâme » à la « révocation ».

Il faut dire que cette attitude a fortement dégradé ses rapports avec l’intersyndical qui, malgré les montages grotesques, malicieux et manipulateurs sciemment orchestré pour diviser l’intersyndical, orienter l’opinion et l’opposer aux magistrats, déjà ployés sous le poids des critiques acerbes et infâmantes qu’ils ont hérité du régime COMPAORE, est resté serein et imperturbable, témoignage d’une dignité retrouvée et d’une véritable indépendance en construction.

L’ensemble des magistrats, partout où ils se trouvent, ont prouvé par la participation jamais égalée (presqu’à 100%) à la grève du 24 février au 1er mars 2016, qu’ils se sont affranchis du joug de l’exécutif qui avait l’art de les diviser. Cette réalité semble échapper au locataire de la partie justice de l’immeuble du Faso, le ministre BAGORO, qui a confondu ses fonctions de ministre (qui devait permettre une gestion raisonnée des agents et des partenaires sociaux de son département) avec privilèges et gloires personnels et dont l’attitude a eu pour conséquence sa mise à l’écart des négociations. D’autres ministres, sans expérience syndicale particulière, ont par contre fait la preuve de leur maturité en matière de négociation raisonnée et ont pu désamorcer des crises naissantes dans le même laps de temps, notamment celui de la santé, concernant la crise au sein de l’hôpital Yalgado OUEDRAOGO et des écoles nationales de santé publique(ENSP).

En marge de ce conflit, d’autres arguments ou faits sont incommodants pour la présence du ministre BAGORO à la tête de la Justice et aussi de certains magistrats nommés au forceps sous la transition.

Le scandale de la gestion des parcelles à la SONATUR qui n’est que la partie visible d’un immense iceberg vient rappeler le conflit qui peut exister entre le ministre de l’habitat qu’il a été sous la transition donc redevable de sa gestion et le ministre de la justice possible destinataire et surtout justiciable de dossiers à poursuivre en cas de découvertes de faits répréhensibles par l’audit de l’ASCE.

Le principe de redevabilité, non seulement, aurait dû militer pour la mise à l’écart de BAGORO Réné en attendant la fin de l’audit, mais aussi, peser lourd pour que possible justiciable qu’il est, ne soit pas le patron de la justice burkinabè. Rappelons-nous que la nomination du DG limogé de la SONATUR avait été opérée en violation des règles organisant le recrutement des DG de certaines structures étatiques. A y voir de près, le DG limogé semblait être en mission commandée ; cela le ministre de la justice qui l’a nommé ne peut nullement s’en laver les mains comme Ponce-Pilate car sa responsabilité est engagée.

Dans notre histoire récente, des ministres et bien d’autres personnes ont démissionné parce que des faits les impliquant ou commis sous leur responsabilité les ont poussés à la porte.

A ce jour, l’on peut s’interroger sur la légitimité du ministre BAGORO Béssolé Réné aux yeux de ses collègues et des Burkinabè. Quel type de rapports, le pouvoir exécutif de Son Excellence Monsieur Roch Marc Christian KABORE veut avoir avec les acteurs de la justice ? Une gestion responsable, juste, paisible et sans discrimination du département de la justice respectant l’indépendance des magistrats est-elle encore possible avec le ministre BAGORO Béssolé Réné ?

Peut-on objectivement maintenir le Ministre BAGORO lorsque les magistrats n’en veulent plus comme interlocuteur et que durant la gestion de la crise ni le Premier Ministre encore moins le Président du Faso ne l’ont associé aux négociations avec l’intersyndical. Doit-on garder un ministre que les acteurs de son département, les magistrats et surtout les syndicats ne veulent nullement voir ?

Peut-on garder le Ministre BAGORO au ministère de la justice au moment où les dépouilles des dossiers nauséabonds de la transition commencent à être exhumées ?

Ne va-t-il pas influencer négativement le cours des dossiers qui viendraient à mettre en cause les dignitaires de la transition dont il fait partie ?

Quelle sera sa posture dans les dossiers de poursuites éventuelles contre ZIDA ou de lui-même ?

Cela est d’autant préoccupant quand on connait sa proximité avec le Procureur général près la Cour d’appel de Ouagadougou qui, nommé sous la transition, l’on s’en souvient, a été d’une promptitude exceptionnelle dans les dossiers mettant en cause d’anciens dignitaires du régime COMPAORE ainsi que du putsch manqué de septembre dernier et qui, à ce jour, semble être dans une sorte de léthargie face aux brûlants dossiers qui concernent certains acteurs de la transition.

Décidément, tout concourt à montrer que maintenir le Ministre BAGORO pose plus de problèmes qu’il n’en résout.

Pour la construction de la République vertueuse que nous voulons après l’insurrection, le Premier Ministre doit remercier simplement le Ministre BAGORO si ce dernier n’arrive pas à courageusement s’assumer en démissionnant.

Aussi, en vue d’une véritable indépendance des magistrats du parquet, le Conseil supérieur de la magistrature devra-t-il, dans le cadre de la mise en œuvre des textes d’application des lois organiques relatives au statut de la magistrature et au Conseil supérieur de la magistrature, envisager la mise en concurrence des postes de procureurs généraux des deux cours d’appel de Ouagadougou et de Bobo Dioulasso parce que ceux-ci deviennent des autorités hiérarchiques du parquet particulièrement influentes dans les procédures pénales et dans la gestion des carrières des procureurs du Faso. Maintenir ceux nommés sous la transition à leurs postes laisserait un goût d’inachevé de l’esprit d’indépendance effective du parquet voulu par le législateur.

Pr Pierre G. Nakoulima
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